Lean manufacturing : Lean stock ou S&OP ?
Pourquoi mettre en opposition la gestion lean des stocks et le processus de pilotage S&OP (ou PIC : Plan industriel et commercial en français) ? Car au fil des rencontres et des projets nous sommes souvent confrontés à deux mondes qui se parlent assez peu. Et c’est dommageable…
Rappelons les objectifs de la gestion lean des stocks : tirer la production (ou les approvisionnements) directement par les commandes des clients, tendre le flux au maximum en visant le stock 0, supprimer les gaspillages, raccourcir les délais des différentes étapes et mettre en place une culture de la mesure factuelle suivie d’actions qui permettent de réduire au plus juste les variations et les défauts.
Le S&OP lui agit plus généralement sur les flux poussés avec pour objectif principal de donner le plus de visibilité brute de la demande du marché à l’outil de production, tout en donnant le plus rapidement possible au marché une vision sur les réserves ou contraintes capacitaires de l’outil de production. Nous sommes concentrés ici sur une atténuation des « effets coup de fouets » et sur un pilotage au plus juste incluant la notion de coût total de mise à disposition du produit dans la chaîne à une maille souvent macro.
Il est vrai que certains adeptes du lean (parfois dogmatiques) prétendent se passer de S&OP qu’ils considèrent comme une lourdeur administrative et peu réactive par rapport au marché. Pourtant, pour avoir vécu plusieurs fois des optimisations de flux produits dans des contextes multi-usines, multi-centres de distribution et souvent internationaux, il me semble que plutôt que de s’opposer les deux approches se complètent extrêmement bien, voire ont besoin l’une de l’autre.
Définissons une des mécaniques idéales… tirez le flux à partir des commandes clients le plus loin possible dans la chaîne jusqu’à ce que les délais ne tiennent plus. Le point de rupture se matérialise lorsque le délai de production de l’article demandé dans le packaging adapté est plus long que le délai de livraison imposé par le « client ».
Pour faire simple, dans l’aéronautique, le délai de livraison d’un avion est de 6 mois à 2 ans, alors nous pouvons tirer le flux jusqu’au fournisseur du fournisseur et ainsi atteindre un stock minimal (visant 0 en théorie). Mais sur le e-commerce le client veut son café dans 2h sur son bureau, et là, le flux tendu se limite rapidement à la disponibilité du stock dans un entrepôt très proche du « dit » client… premier point de rupture ou « de découplage ».
Qui dit découplage, dit stock. Là encore, ce stock tampon peut être tiré avec un kanban par exemple, mais pour cela il faut une demande relativement régulière et un outil d’approvisionnement suffisamment flexible pour absorber les variations de demandes et les aléas de production. Deux outils puissants peuvent être utilisés. Le lean, couplé au 6 sigma, permettent de quantifier les variations inabsorbables dans la chaîne afin de rechercher leurs causes racines, de dimensionner la taille des lots produits, de standardiser au mieux et, de fait, de diminuer la taille des stocks intermédiaires. Ceci s’applique aussi bien aux supply chain simples qu’aux réseaux internationaux complexes.
Nous pouvons remonter la chaîne, et appliquer ces principes de tension du flux sur chaque point de distribution, chaque aléa, chaque défaut et remonter jusqu’à la gestion des prévisions des ventes qui s’avère finalement nécessaire lorsqu’une partie au moins du flux est poussée. Nous pourrions même intégrer le cycle de création des nouveaux packaging ou des produits. Oui, le lean est un outil puissant d’augmentation de la valeur ajoutée tout au long d’une chaîne, qu’elle soit tirée ou poussée, en visant le défaut zéro ou le « bien du premier coup » jusqu’au client. Et bien sûr, le lean permet de minimiser les stocks tampons et l’énergie passée à gérer cette chaîne de valeur.
Certains l’ont compris en faisant de la différentiation retardée, du x-docking, de l’optimisation de remplissage des transports (pooling), de l’utilisation des données de caisses pour alimenter les magasins, de la GPA, de la collaboration avancée client-fournisseur, de la standardisation des formats, fiabilisation des données produits, etc…
Comme nous ne sommes pas dans un monde lissable à souhait, le S&OP vient en partenaire à forte valeur ajoutée aussi bien sur son aspect gestion stratégique du commerce que celui de la capacité industrielle liée. Il rythme une collaboration peu naturelle entre les vendeurs et les producteurs en révisant le dimensionnement de toute la chaîne client sur les axes ventes, services, capacités et coûts associés…
En bref, pas d’opposition entre le Lean manufacturing et le S&OP mais une belle complémentarité qui vise l’ excellence opérationnelle pour la satisfaction des clients et des actionnaires.